17/01/2011
Voir la vie en rose, noir ou bleu
Selon certains, aujourd'hui serait le jour le plus déprimant de l'année. Ce dernier serait en effet le 3e lundi du 1er mois de l'année. Le lundi noir où nous aurions le moral dans les chaussettes.
Les anglophones parlent de "Blue Monday" (lundi bleu), soit du lundi de la déprime. La couleur bleue est aussi évoquée quand on veut indiquer qu'un événement ne se produit que très rarement (cf. La lune bleue, venant de "Once in a blue moon").
Étrange comme les idées noires virent au bleu! Là où nous voyons tout en noir, les Anglais voient tout en bleu... Mais ils ont aussi des rêves bleus ("Blue dreams"), ce qui n'a pas alors un sens péjoratif, au contraire. Les Italiens, eux, rêvent d'or ("Sogni d'oro"). De notre côté, nous avons parfois des bleus à l'âme.
L'expression "To have the blue devils" (Avoir les diables bleus) est devenue "I got the blues", "I feel blues" (J'ai le blues ou J'ai le cafard), le blues étant une musique d'origine afro-américaine qui exprime la tristesse et la nostalgie.
Quant au mot "cafard", c'est Baudelaire qui l'aurait fait connaître, comme le mot "spleen" (tristesse, mélancolie), grâce à son œuvre Les Fleurs du Mal.
Aujourd'hui, essayons quand même de voir la vie en rose!
01:47 Publié dans Evénement, Musique, Société | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : blue, blue monday, mélancolie, tristesse, nostalgie, baudelaire, mois, année, monday, lundi, troisème, janvier, rose, bleu, noir, cafard, spleen, blues, déprimant
02/05/2010
Le blues des correcteurs
Voici un article de Libé, publié en janvier 2010, qui en dit long sur la regrettable et scandaleuse précarité des correcteurs...
Correcteurs à rude épreuve
Discrets et isolés, les correcteurs employés par les maisons d’édition voient leur métier disparaître peu à peu.
Ils ne bloqueront pas les routes, ni les ports. Ils ne s’allongeront pas sur les voies ferrées. Ils ne paralyseront pas le pays. Ils n’en essayent pas moins, avec leurs pauvres moyens, de nous prévenir que notre langue - le vecteur de la pensée, de la création, de la liberté d’expression - est en danger parce qu’on les maltraite. Les correcteurs de l’édition sont les nouvelles victimes de la précarisation des professions intellectuelles. Victimes discrètes parce que travaillant pour la plupart d’entre eux à domicile, travailleurs invisibles puisque leur rôle est méconnu. Et pourtant maillons nécessaires de la chaîne du livre car, sans eux, la lecture de bien des auteurs, parfois très connus, serait une épreuve. Vous voulez des noms ? Nous verrons.
En mars dernier, le mal-être des correcteurs s’est fait moins discret lorsqu’une cinquantaine d’entre eux ont manifesté sur le boulevard Saint-Germain à Paris, devant le siège du Syndicat national de l’édition, aux cris de : «La précarité, ça suffit!» Salaires, protection sociale, volume de travail : tout est à la baisse. Ces dernières semaines, le conflit s’est cristallisé autour de la maison Gallimard. Non pas que cet éditeur soit pire que les autres en matière de correction, bien au contraire : la maison de la rue Sébastien-Bottin est connue comme l’une de celles qui, avec les éditions du Seuil, apportent un soin méticuleux à la préparation de copie. Mais justement : si le standard de qualité se met à baisser chez Gallimard, il est à craindre qu’il chutera partout. Sauf là où il est déjà nul. Des noms ? Plus tard peut-être.
Un paiement modeste et à la tâche
«Nous sommes payés à la tâche, donc aléatoirement, et de surcroît bien modestement en regard des compétences que notre employeur et l’état de certains manuscrits exigent de nous», clamait en novembre un tract distribué aux salariés de Gallimard par «les lecteurs-correcteurs et correcteurs» de la maison. Car notez qu’il y a deux familles de correcteurs. La première, celle qui s’occupe de la préparation de copie, est d’une certaine manière l’élite de la profession. Le lecteur-correcteur est, avec l’éditeur, la première personne à avoir le texte brut de l’auteur entre les mains. Il est chargé d’en vérifier la cohérence, la structure, les informations. Il doit l’alléger de ses lourdeurs, parfois le réécrire un peu et faire éventuellement au passage un premier travail de correction sur la syntaxe, la grammaire, l’orthographe, la typographie. Le correcteur, lui, travaille en aval sur les épreuves pour en chasser définitivement toutes formes de fautes et veiller à ce que les corrections précédentes soient bien reportées.
Marie-Hélène Massardier, 52 ans, fait partie de la quinzaine de lecteurs-correcteurs qu’emploie Gallimard (en sus d’une soixantaine de correcteurs). C’est elle qui a préparé le texte du dernier Goncourt, Trois Femmes puissantes, de Marie N’Diaye. Un manuscrit d’emblée presque parfait, sur lequel il y a eu très peu à faire, rapporte Marie-Hélène. «Mais plus le texte est bon, plus j’ai envie de peaufiner, poursuit-elle. Je me mets à pinailler à un point inouï, par exemple sur des répétitions qui ne me semblent pas être intentionnelles.» Elle constate : «J’ai eu un dialogue passionnant avec Marie N’Diaye, qui est une femme magnifique.»
Marie-Hélène Massardier a également travaillé, «avec autant de bonheur», sur le dernier roman de Patrick Modiano, qui est «très à l’écoute, il y a chez lui une demande». Et Modiano a pensé - veuillez le noter, amis auteurs - à envoyer à sa première lectrice un exemplaire très gentiment dédicacé de son Dans le café de la jeunesse perdue. D’autres expériences sont plus rudes ; la préparation de copie s’apparente alors à un parcours du combattant. «Le lecteur-correcteur doit être un caméléon qui s’imprègne d’une écriture afin de faire des propositions en accord avec le style de l’ouvrage, et non avec ce qu’il pense être la norme.»
Dominique Froelich, 60 ans, dont vingt-cinq chez Gallimard, a passé quatre mois sur le manuscrit fleuve des Bienveillantes, de Jonathan Littell, prix Goncourt 2006. La phase de discussion avec l’auteur a duré «trois semaines, à raison de huit heures par jour». Un travail «ardu, heurté» avec un romancier «intransigeant». Celui-ci tonnait : «Je ne veux pas faire de belles phrases !» Sa lectrice rétorquait : «Il y a des incorrections qui apportent du sang neuf à la langue, et d’autres qui sont inadmissibles.» Voyez l’ambiance sur 800 pages ! Dominique Froelich résume : «J’ai fait un immense trajet vers lui, et lui vers moi.» Force est de constater que ni l’un ni l’autre n’ont eu à le regretter puisque l’auteur a obtenu le Goncourt, et la lectrice, euh… la satisfaction du travail bien fait. Car il est loin le temps où Gaston, puis Claude Gallimard distribuaient des enveloppes au personnel quand la maison décrochait un grand prix.
Dominique Froelich touche un salaire mensuel net de 1 900 euros. C’est le seul lecteur-correcteur de la maison qui bénéficie d’un salaire fixe. Les autres sont «travailleurs à domicile», une catégorie spécifique dans la convention collective de l’édition, payés 13 euros net de l’heure (treizième mois et primes diverses comprises, sachant que le lecteur-correcteur est censé travailler à la vitesse de 9 000 à 10 000 signes l’heure). Soit 1 800 euros net par mois pour des semaines de 35 heures, à supposer qu’il y ait suffisamment de copie pour travailler tout le mois. Les correcteurs, eux, sont encore moins bien lotis avec un salaire de 11 euros de l’heure, à raison de 12 000 signes par tour d’horloge. Et ce sont là les tarifs Gallimard, pas les pires du secteur. «On fait passer les correcteurs pour des privilégiés, travaillant tranquillement à domicile, alors que la réalité du métier, c’est une course contre la montre pour avoir un revenu juste décent, indique Marie-Paule Rochelois, correctrice pour Gallimard, Albin Michel et Robert Laffont. Certains doivent cumuler les employeurs et travailler jusqu’à 250 heures par mois. Beaucoup touchent moins de 1 000 euros mensuels.»
A l’origine, les correcteurs étaient attachés aux ateliers de typographie. Mais avec la naissance de l’édition moderne, vers la fin du XIXe siècle, ils ont rejoint les maisons d’édition où «leur culture générale et leur intelligence de l’écrit étaient des compétences centrales», souligne Marie-Paul Rochelois, laquelle aime à rappeler que Victor Hugo comparait les correcteurs à de «modestes savants habiles à lustrer la plume du génie» (lui-même étant le génie, bien sûr!).
0,085 euro : le coût du correcteur par exemplaire
Aujourd’hui, les éditeurs chercheraient plutôt à s’en débarrasser. Au Seuil, le dernier plan social a décimé le service : le nombre de préparateurs de copie salariés en fixe est passé d’une douzaine à seulement quatre ou cinq, avec le renfort de travailleurs à domicile. Chez beaucoup d’éditeurs, le travail de lecture-correction est transféré vers les éditeurs et leurs assistant(e)s, en particulier dans les sciences humaines. Parfois les phases de correction deviennent des préparations de copie déguisées. Et fini le temps où les grandes maisons faisaient travailler deux correcteurs sur le même texte pour renforcer la qualité.
L’informatique fait, elle aussi, ses ravages. Certains textes ne connaissent plus qu’un «décoquillage» avec des logiciels comme ProLexis. Les ouvrages passant de l’édition brochée à l’édition poche ne sont plus corrigés, certaines premières éditions ne sont même plus relues du tout. En conséquence, le volume de travail proposé aux quelque 8 000 correcteurs et lecteurs-correcteurs de l’édition ne cesse de baisser. La correction représente pourtant un faible coût dans la chaîne de production du livre, selon les calculs faits par les correcteurs de Gallimard. Ils l’estiment en effet à 0,085 euro par unité pour un ouvrage tiré à 8 000 exemplaires, soit 0,47 % du prix de vente (pour un prix moyen de 17,90 euros). Et c’est pour cela qu’on décimerait une profession?
Il a fallu aux correcteurs se battre pour être payé en salaire et non en droits d’auteur (plus favorables pour l’employeur, qui paie alors moins de cotisations sociales). Au terme d’une procédure de près de dix ans, Gallimard, qui est allé jusqu’en cassation, a été condamné en février 2007 pour cette pratique assimilée à du «travail dissimulé». Aujourd’hui, c’est le recours croissant à des auto-entrepreneurs, qui eux aussi permettent de réduire le coût des charges sociales, qui inquiète les correcteurs.
Ceux-ci passent volontiers pour des emmerdeurs. On les dit névrosés, obsessionnels, sous-diplômés, dégoûtés de l’écrit. C’est généralement faux. Marie-Hélène Massardier et Dominique Froelich ont eu des parcours très semblables : études supérieures, enseignement, séjour à l’étranger (Nouvelle-Zélande pour l’une, Cameroun pour l’autre), puis retour un peu désenchanté dans l’enseignement français. L’une et l’autre entendent alors parler du métier de correcteur par un ami. Elles suivent une formation spécifique à Coforma (l’école du Syndicat des correcteurs, devenue Formacom en 1998), font leurs premières armes dans la presse et passent rapidement dans l’édition. A ces deux passionnées de littérature, le métier de lecteur-correcteur n’a pas fait passer le goût des romans. Au contraire, disent-elles, l’un des plaisirs du job est de découvrir (parfois) de beaux textes, ou d’aider à l’accouchement de l’écriture d’un auteur qui a vraiment quelque chose à dire.
Chaque préparateur de copie a sa propre approche. Marie-Hélène Massardier, par exemple, aime mettre des images sur les textes, les visualiser comme au cinéma, pour détecter d’éventuelles incohérences. Si Dominique Froelich travaille souvent avec de grands auteurs (Pierre Guyotat, Pascal Quignard, JMG Le Clézio), elle dit éprouver une joie particulière en découvrant des premiers romans de qualité. Au nombre desquels Antibes, de Corinne d’Almeida, à paraître ce mois-ci.
Préparateur de copie au Seuil depuis 1985, après une hypokhâgne et une formation au secrétariat de rédaction, Gilles Toublanc apprécie, lui, la diversité d’un métier qui le fait travailler aussi bien avec Maryline Desbiolles, «très à l’écoute» des propositions, qu’avec Antoine Volodine, qui remet des textes presque définitifs et avec lequel les discussions peuvent en conséquence être difficiles. Mais c’est souvent avec les traducteurs que les négociations sont les plus ardues, note-t-il. Par-dessus tout, les préparateurs redoutent le mauvais texte, mal écrit et sans intérêt, qui va demander beaucoup de travail pour finalement pas grand-chose, puisqu’un mauvais livre restera un mauvais livre.
Presse et Internet, vers un monde sans correcteurs
Les correcteurs sont des professionnels isolés, rarement syndiqués, communiquant peu entre eux, au contraire des correcteurs de la presse quotidienne. Il fut un temps où le Syndicat des correcteurs CGT gérait l’embauche dans les quotidiens, mais la presse, elle aussi, tend à se passer des correcteurs (Libération a été le premier quotidien sans correcteurs après la dissolution du service au printemps 2007, déléguant désormais cette tâche aux éditeurs et aux chefs de service). Du coup, le Syndicat redéploie ses efforts vers l’édition : sa secrétaire générale, Anne Hébrard, a récemment créé une liste de diffusion sur Internet pour fédérer les isolés et faire circuler l’information : 150 travailleurs à domicile de l’édition y sont aujourd’hui inscrits, sans être nécessairement syndiqués. Le Syndicat songe à créer un prix de la Coquille d’or, décerné chaque année au livre le plus mal corrigé.
Avec Internet et les portables, la rapidité prime désormais sur la qualité. Sur le Web, seul Lemonde.fr a des correcteurs. En mars dernier, quand Livreshebdo.fr, le site du magazine des libraires, a rendu compte de la manifestation des correcteurs, son article comptait trois fautes en cinq lignes ! La suppression progressive de la correction et de la préparation de copie dans le monde numérique comme sur le papier, c’est une accumulation de petites violences faites aux lecteurs, de microbarbaries en apparence anodines mais qui, en se multipliant, font du langage un véhicule plus incertain, charriant des idées imprécises. Et à terme une démocratie approximative?
Source : http://www.liberation.fr/culture/0109612104-correcteurs-a....
15:49 Publié dans Orthographe, Presse | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : correction, relecteur, relecture, blues, préparateur, copie, déguisée, correcteur, livre, édition, épreuve, précarité, orthographe